Depuis plusieurs décennies, Madagascar fait face à une crise de gouvernance profonde qui s’est installée au cœur de la vie politique, économique et sociale du pays. Cette crise, marquée par une instabilité récurrente, une faible crédibilité des institutions et une gestion contestée des ressources, continue d’hypothéquer les perspectives de développement durable d’un pays pourtant riche en potentialités.
La gouvernance malgache se caractérise d’abord par une instabilité politique chronique. Depuis son indépendance en 1960, la Grande Île a connu plusieurs crises majeures : manifestations populaires, coups d’État, contestations électorales, transitions de pouvoir conflictuelles... Les alternances se sont rarement déroulées dans un climat apaisé, ce qui a contribué à fragiliser les institutions et à éroder la confiance de la population envers ses dirigeants. Chaque cycle électoral est souvent accompagné de contestations, nourries par des soupçons de fraudes, des manipulations administratives ou l’exclusion de certains candidats jugés menaçants pour le pouvoir en place.
À cette instabilité politique s’ajoute une gouvernance économique inégale et souvent dénoncée pour son manque de transparence. Madagascar dispose pourtant de ressources naturelles considérables : terres agricoles fertiles, biodiversité unique au monde, minerais stratégiques comme le nickel, le cobalt ou le graphite. Mais la gestion de ces richesses demeure marquée par l’opacité, les soupçons de corruption et une redistribution inéquitable des revenus. Les grands contrats (mines, infrastructures...) régulièrement pointés du doigt par la société civile, alimentent un sentiment de spoliation chez les populations locales, qui ne bénéficient que très peu des retombées économiques.
Déficit d’indépendance
La crise de gouvernance se manifeste également dans la faiblesse de l’État à fournir des services publics essentiels. Santé, éducation, infrastructures et accès à l’eau ou à l’électricité restent très insuffisants. Les coupures récurrentes d’énergie et d’eau à Antananarivo et dans d’autres grandes villes en sont une illustration flagrante, déclenchant régulièrement des mouvements de contestation. L’incapacité des dirigeants successifs à apporter des solutions durables à ces problèmes structurels alimente la colère et le désenchantement populaires.
La société civile, bien qu’active, peine à faire entendre sa voix dans un contexte où les libertés publiques sont parfois restreintes et où les institutions censées garantir l’équilibre démocratique, comme la justice ou le Parlement, souffrent d’un déficit d’indépendance. Les élites politiques privilégient souvent des alliances circonstancielles, guidées par des intérêts personnels ou partisans, au détriment de l’intérêt général. Ce climat entretient un cercle vicieux : l’affaiblissement des institutions nourrit la méfiance des citoyens, qui à leur tour se détournent de la vie publique, laissant un espace encore plus grand aux pratiques clientélistes.
Les conséquences de cette crise sont lourdes. Madagascar reste l’un des pays les plus pauvres du monde, avec plus de 70 % de sa population vivant sous le seuil de pauvreté. Les inégalités sociales se creusent, et la jeunesse, majoritaire, voit ses perspectives d’avenir compromises. Les partenaires internationaux continuent de soutenir le pays par des aides et des projets de coopération, mais ceux-ci peinent à produire des résultats durables dans un environnement institutionnel aussi fragile.
Plusieurs voix s'élèvent
Pour sortir de cette impasse, plusieurs voix plaident pour une refondation de la gouvernance malgache. Cela passe par le renforcement de l’État de droit, une plus grande transparence dans la gestion des ressources, la responsabilisation des dirigeants et une réelle participation citoyenne. Mais tant que la culture politique restera dominée par la recherche du pouvoir pour le pouvoir et par des logiques de rente, la crise de gouvernance de Madagascar risque de perdurer, freinant l’émergence d’un pays qui a pourtant tout pour réussir.
Ces derniers jours, plusieurs personnalités ont partagé leurs avis concernant la situation de Madagascar et les possibles solutions pour sortir de cette impasse. "A mon avis, il va aussi falloir reconstruire cette confiance intergénérationnelle, perdue depuis plusieurs années déjà et qui empêche une reconstruction pérenne", a affirmé Gil Razafintsalama, président de la Chambre de Commerce et d'Industrie d'Antananarivo. Le chroniqueur Vanf se montre plus incisif : "Cette gouvernance-là, de show permanent, entre lubies, révélations messianiques et oukases, a largement démontré ses limites à assurer le minimum qu’attend la population".
Hagasata Rakotoson, figure bien connu du secteur privé et de l'écosystème financier du pays, soutient que dans la vie économique comme dans la gestion publique, la mauvaise gestion, la corruption, la prédation ou l’injustice – au-delà du fait qu’elles relèvent d’une mauvaise gouvernance – fragilisent durablement les institutions, les entreprises et la cohésion sociale. Et d'ajouter que les manifestations actuelles à Madagascar traduisent un malaise profond : celui d’un peuple confronté aux inégalités, au manque d’accès au minimum vital, et à l’impression que la justice sociale est confisquée. Pour sa part, le général Ramakavelo plaide pour "un gouvernement civil fondé sur l’expérience, les compétences et une vision politique claire, et non d’une administration dominée par l’armée".





